La Lettre de  PALO ALTO

L'apport de la Systémique paradoxale

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Olivier veut décider

 

Récit de la séance

 

C'est une séance de démonstration, par un animateur expérimenté, avec 5 participants. Durée : 1 heure

 

"Olivier veut décider"

            

Etape 0

L'animateur sort 6 mn avec un volontaire client (Olivier) pour préparer. Ils reviennent.

 

Etape 1

Client : Je suis Olivier. J'ai dirigé une chaîne de distribution pendant 5 ans.

J'ai fait Essec et Droit, suis expert en communication et marketing.

Aujourd'hui je suis consultant, spécialiste de la conduite du changement : aspects organisationnels, humains et sociaux.

Je suis coach, j'anime des séminaires et je dirige une collection "Management" pour un éditeur. J'ai une sarl, je suis seul, mais j'ai des sous-traitants, des indépendants à qui je fais souvent appel.

 

J'ai conçu également un produit original de formation au changement et j'ai formé des consultants qui le diffusent.

J'ai une décision à prendre mais je n'y arrive pas : est-ce que je poursuis selon ma structure actuelle, donc en y passant pas mal de temps, ou bien je m'appuie sur une vraie structure en fusionnant avec un partenaire que je connais, qui est très solide, une vraie société avec des salariés et des experts, mais qui a une philosophie différente. Je sais qu'il n'est pas commode à vivre, assez autoritaire et dur en affaire. J'ai déjà eu un clash avec lui. Mais il permettrait de booster la diffusion de mes offres et de me libérer.

 

Etape 2

Apports du client en réponse aux questions :

- Oui, mon produit "Changement" c'est mon bébé et je suis tenté de continuer de m'en occuper à ma manière, sans interférence de personne. Jusqu'ici c'est ma "signature" avec mes valeurs.

 

- Oui, moi aussi j'ai un tempérament affirmé, mais je ne pourrai pas m'occuper de tout et je voudrais avoir du temps pour développer un rôle de conférencier et me faire une réputation dans la conduite du changement.

 

- Oui, je suis aussi difficile à vivre, et je pense que j'ai un problème de méfiance depuis longtemps sur les questions de pouvoir. J'ai eu une expérience très difficile.

Et je me demande si je serai capable ne pas escalader en cas de tension

 

- Oui mon produit "Changement" connaît un fléchissement. Cela me soucie. Je pense que c'est parce que je manque du temps à y consacrer et d'un réseau de diffusion.

 

Etape 3

L'animateur demande aux consultants de réfléchir une minute pour reformuler leur compréhension du sujet et formuler ce qui serait une demande de leur point de vue

(Il n'invite pas le client à formuler sa demande).

... Puis l'animateur invite chacun à communiquez sa compréhension de la demande

 

- Tu sais que la coopération avec le partenaire sera difficile du fait de vos personnalités. Tu as besoin de faire une étude sur vos 2 profils, test de personnalité ou autre.

 

- Il faut que tu passes du temps à identifier tes aspirations prioritaires

 

- La question, c'est comment te faire aider pour inventer la bonne décision

 

- Il me semble que tu dois évaluer si cette fusion est vraiment intéressante

 

- Tu es en train d'hésiter entre autonomie et intégration, donc tu as besoin de clarifier ton projet

 

- Ton sujet, c'est comment réussir une négociation difficile pour obtenir le partenariat qui va vraiment te convenir avec cette société.

 

Le client réfléchit, puis indique que la dernière proposition lui convient. Il écrit au tableau :

            "Comment m'organiser pour conduire une négociation réussie"

 

- Tout en écrivant le client se fait un commentaire à voix basse :  "Je me demande pourquoi je crains cette solution..."

 

Etape 4

L'animateur invite à 2 minutes de réflexion. Puis viennent les apports de chacun : 

 

- Interviewe des gens qui se sont associés ou ont fusionné

 

- Identifie tes valeurs et ce qui se joue dans ta méfiance

 

- Refais le point sur tes offres en partant de zéro

 

- Pars du marché pour définir le modèle de fonctionnement le plus adapté

 

- Il n'y a pas que fusionner, il y a aussi avoir une filiale commune ou un réseau commun.

 

- Définis la répartition idéale de tes temps professionnels

 

- Pars de ce qui serait ton idéal

 

- Et si tu trouvais un partenariat d'un type différent de "fusionner"

 

- Clarifie ton ambition, tes indicateurs de réussite

 

- Pourquoi fusionner ? Et si tu devenais un grand coach-conférencier ?

 

Etape 5

Client : Beaucoup d'idées m'intéressent :

         Définir mon idéal

         Partir du marché, oui

         La bonne répartition de mes temps

         Réviser mon offre

         Oui, coach-conférencier de renom, ça me plaît bien

         Oui, approfondir mes valeurs

         Les interviews, oui

         

         C'est très stimulant, merci

         Je vois mieux les questions à me poser

         J'en tire plusieurs directions

            

Etape 6

L'animateur s'adresse aux participants : 

Avez-vous des résonnances ? Qu'avez-vous tiré ? Qu'avez-vous appris ?

 

            Beaucoup d'idées, c'est riche

            Je vois une autre façon de faire l'étape 3

            On ne creuse pas l'émotionnel, on analyse, c'est intéressant

 

 

Commentaires sur la séance

 

Imaginons un dialogue entre le jeune observateur qui se pose des questions (Kwest) et le praticien expérimenté (Pratt)

 

Kwest : Je vois des satisfactions

La séance s'est très bien déroulée : 

            - animation fluide, aisée, posée, bienveillante.

            - bien rythmée, bonne maîtrise du temps

            - client très satisfait, consultants également très satisfaits

            - séance courte : une heure

 

 

 

D'abord savoir où en est le client

Pratt : Tu vois, tout d'abord si je dois aider quelqu'un à réfléchir sur une décision à prendre, j'aurai un besoin vital de savoir :

- s'il y a un délai et lequel

- s'il est sous pression, tendu ou plutôt en réflexion, tranquille

- s'il a déjà fait le tour de la question et avec des tentatives pour décider, ou bien s'il lui manque pas mal d'informations qu'il doit d'abord rassembler. Car ces éléments changent complètement le tableau ...

K: Oui, mais si les consultants n'y pensent pas ?

P : Justement, un des rôles de l'animateur est de les stimuler. Il pourrait dire : "Sait-on si notre client doit décider dans un délai ou pas ?", "Sait-on si notre client commence juste sa réflexion ou s'il a déjà fait 3 fois le tour ?"

K : Ah, l'animateur peut envoyer des messages comme ça ?

P : Oui. Adrien Payette souligne la fonction de stimulation de l'animateur. 

 

Ensuite savoir quel est le problème

P : Pour aider, il faudrait avoir le problème

K : Nous l'avons : le client n'arrive pas à décider

P : Cela, c'est la situation. Le problème, c'est : qu'est-ce qui l'en empêche ? Olivier, manifestement, sait décider dans son activité. On peut même supposer que ce diplômé doit s'en vouloir de ne pas savoir décider dans ce cas. Or quelque chose l'en empêche : c'est cela le problème. Lui-même ne le sait pas bien puisqu'il dit en a parte :   "Je me demande pourquoi je crains cette solution..."

C'est cela la première aide qu'on peut apporter : aider à identifier ce qui pose problème, ce qui empêche la décision pour Olivier.

 

Si on n'a pas le problème que rencontre le client quand il veut résoudre le problème de la situation (la décision à prendre), alors on ne sait pas où aller.

 

Comme on ne sait pas, faisons une supposition, une pure hypothèse parmi d'autres possibles, pour avoir un raisonnement : 

Par exemple Olivier décide qu'il ne peut pas rester seul car son produit phare ne décolle pas. Mais en s'associant avec le cabinet X, il doit renoncer à sa "signature", à l'esprit de son produit, afin de rentrer en cohérence avec la gamme de produits du cabinet.

Il croit qu'il l'accepte le deal, mais au fond de lui c'est non. Une question de valeur.

Et dans ce cas on comprend le problème. Et là, on pourra être pertinent pour l'aider dans sa réflexion, car on comprendrait le blocage. Ce n'est qu'un exemple.

 

Qu'une décision soit à prendre avec des avantages, des inconvénients et des incertitudes, cela n'est pas le problème. C'est le constat de la situation. Tout le monde vit tout le temps des situations d'hésitation. Et on finit par décider.

Par exemple, Eisenhower hésitait au début de juin 44. C'était difficile mais il n'était pas bloqué.

Le problème, c'est ce à quoi se heurte le client quand il veut raisonner et agir sur la situation.

Donc ici on connaît la situation (hésitation) mais on ne sait pas ce que le client se dit face à cette hésitation, ni ce qu'il fait.

 

Voilà un client déjà très équipé en compétences pour décider : on se doit d'être curieux sur ce qui l'en empêche dans ce cas précis.

 

La demande supposée

Curieusement, dans cette séance, ce sont les consultants qui sont sollicités en premier dans l'étape 3. (Cela ne correspond pas au déroulement de l'étape 3 que l'on trouve dans l'ouvrage de base du Codéveloppement).

 

Faisons une remarque sur la double consigne donnée aux participants :

a) "Formulez ce qui serait une demande" est surprenant, cela implique que les consultants savent, mieux que le client, ce qu'il demande.

On croit comprendre, cependant, qu'il s'agirait là d'une manière indirecte de challenger la demande (mais une demande qu'on n'a pas).

 

b) Dire aussi "Reformulez votre compréhension du sujet" est surprenant car cela nous emmène directement dans l'étape 4. En effet chacun peut alors apporter son interprétation de la situation.

Et de fait les réponses obtenues ne sont pas des demandes mais directement des hypothèses et des suggestions qui appartiennent déjà à l'étape 4.

 

Exemple :

La proposition :

- Tu sais que la coopération avec le partenaire sera difficile du fait de vos personnalités. Tu as besoin de faire une étude sur vos 2 profils, test de personnalité ou autre.

n'est pas une formulation de demande mais une suggestion particulière qui relève de l'étape 4.

Il en est de même de :

- Ton sujet, c'est comment réussir une négociation difficile pour obtenir le partenariat qui va vraiment te convenir

 

De plus, ce dernier apport nous interroge. Il ne dit pas comment surmonter l'hésitation. Il la surmonte tout seul. Il emmène dans une direction : négocier avec le partenaire. Et ce qui est frappant c'est de voir que le client "achète" cette suggestion qui lui permet de ne plus hésiter, tout en ré-exprimant son hésitation en "a parte" ! Le client a acheté une demande qui lui plaît (fin de l'hésitation)... mais qui, au fond, ne lui va pas. Et quand il dit tout bas : "Je me demande pourquoi je crains cette solution...", on sent que c'est par là que se trouve le grain de sable.

 

Puis brain-storming en étape 4 

C'est une sorte de brain-storming qui tire au hasard, étant donné qu'on n'a pas clarifié ce qui freine la décision du client.

Et lorsqu'un consultant propose :

- Identifie ce qui se joue dans ta méfiance, on se dit que c'est cela qu'il aurait été bon de faire en étape 2.

 

Impact de la séance : 

- On n'a pas permis au client d'identifier sa difficulté

- Il est poussé dans une direction arbitraire (en fait c'est une emprise), et en fait il hésite toujours et ne sait pas pourquoi

- Le rythme et le temps de la séance ne laissent pas d'espace de réflexion.

- Si le Codéveloppement vise avant tout l'amélioration de pratique, alors on peut dire ici que les participants n'ont pas appris à penser, ils ont même "désappris" à penser et à accompagner. Ils ont fait un brain-storming dans le flou. 

            

Cela dit, oui il y a satisfaction générale. Elle est classique après un travail amical en groupe.  Elle est donc illusoire et superficielle.

 

La satisfaction d'un client ne prouve pas que du bon travail ait été fait.

La satisfaction du groupe, non plus.

 

 

 

Note sur les inconvénients de la "demande supposée"

 

Cette façon de traiter l'étape 3 semble se répandre. On n'invite pas le client à formuler sa demande. Selon les animateurs, la question posée aux consultants peut prendre la forme :

Votre perception de la demande du client ?

Votre compréhension de la situation du client ?

Votre lecture de la situation ?

Votre reformulation du besoin du client ?

La réflexion qui vous vient sur la demande du client ?

 

Toutes ces formules présentent le gros inconvénient de demander en étape 3 aux consultants leur propre élaboration qu'ils se préparent à donner en étape 4.

Pire : si l'on demande alors au client de prendre position, après avoir entendu ces pistes, il se retrouve comme déjà en étape 5 en train de choisir un axe qui lui convient. On perd alors tous les autres axes de réflexion et bien sûr la divergence.

Et comme c'est le client qui fait le dernier choix, ce choix soudain n'est alors pas challengé avec le risque d'une demande qui maintienne le problème. 

 

Nous ne voyons que des inconvénients à procéder ainsi, inconvénients qui peuvent être dommageables.