La Lettre de PALO ALTO
L'apport de la Systémique paradoxale
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Que veux dire "Systémique paradoxale" ?
La systémique paradoxale (venue de Palo Alto, donc) connaît un succès d'intérêt.
Une curiosité autour de quelque chose qui fournirait des solutions inattendues voire magiques. Et justement, on voit de plus en plus, en coaching ou en Codéveloppement, des intervenants utilisant des répliques qui se veulent paradoxales.
Le client déclare : " C'est pénible, je me sens dans le doute"
Réplique : " En quoi est-ce un problème d'être dans le doute ?"
Un client énonce : "Oui, il y a bien la possibilité numéro 3, mais j'ai peur que ça ne marche pas".
Réplique : " Si tu n'avais pas peur, tu ferais quoi ?"
Ces répliques, d'aspect paradoxal, prennent le contre-pied du client, le surprennent sûrement, l'invitant à voir "autrement".
Et pourtant, précisons tout de suite que pour nous ces répliques ne relèvent pas de la systémique paradoxale.
Pourquoi ?
D'abord elles sont brutales, comme des électrochocs, le contraire d'entendre l'inconfort ou la souffrance, d'accuser réception, de montrer que l'on comprend.
Sinon ? Eh bien sinon le message implicite est simple : on donne tort au client, on lui explique qu'il a des perceptions inadéquates, on lui laisse entendre qu'il a un problème de peur, on le dévalorise, surtout avec un intervenant parlant en "position haute", avec assurance.
En fait ces répliquent ressemblent à des "confrontations". Mais chez Palo Alto on ne confronte pas.
En bonne théorie, on ne peut confronter qu'en référence à quelque chose : un contrat, un engagement, une réalité, une évidence, une norme.
Or ici on est "constructiviste", c'est à dire qu'on ne vient pas avec une norme ("sortir de la passivité", respecter le contrat de séance, être gagnant, prendre soin de soi, aller vers l'autonome, etc., etc. ). On n' a pas une référence ou une vérité plus forte que celles du client. On veut juste l'aider dans la conduite de sa vie à partir de sa vérité à lui.
Notons aussi, autre surprise, que Palo Alto donne raison au client. On dirait par exemple :
- Avec ce que vous m'avez expliqué, il semble bien normal que vous soyez dans le doute.
- Vu le risque que vous évoquez, on comprend que ça pourrait ne pas marcher.
Autrement dit : vu le système (et le contexte) dans lequel vous naviguez et votre vision du monde, il est logique que vous rencontriez ce problème.
En agissant ainsi, on supprime la double peine.
La double peine ? Oui, si quelqu'un, par exemple rencontre une difficulté importante pour décider, s'il hésite, s'il est dans le doute, s'il craint un risque, c'est une première peine.
Si la difficulté persiste, alors vient la 2° peine : le client se sent nul de ne pas savoir décider et finit, intérieurement, par se traiter de tous les noms.
En donnant raison au client de rencontrer la difficulté, d'avoir le problème, on allège la double peine et il reprend contact avec ses ressources.
Mais allons plus loin et prenons un exemple.
Cet étudiant, d'origine modeste, consulte un intervenant. Après de bonnes études secondaires et un début à l'université, il a choisi de s'investir en sociologie. Et c'est la réalisation d'un rêve pour lui.
Or quelque chose lui échappe : il mène enfin les études dont il rêvait et ... ne trouve guère de satisfaction. Ses journées, ses semaines lui sont ingrates, fatigantes, peu stimulantes. Il réalise son rêve et pourtant se sent mal. Sa motivation a bien descendu.
Si vous êtes un intervenant "normal" vous devriez vous dire : OK, il veut retrouver sa motivation, et il me demande de l'aider. OK. Donc objectif : qu'il retrouve la joie dans ses études.
L'intervenant, "palo altien" engage le dialogue un peu différemment :
- Vous pensiez que ce seraient des études passionnantes ?
> Bien sûr
- D'où vous vient cette idée ?
> J'ai lu des auteurs merveilleux (il les cite), la sociologie permet de comprendre le monde et les grands mouvements de l'humanité (il cite)...
- en effet, c'est sûrement merveilleux. J'imagine votre insatisfaction actuelle. Mais si je ne me trompe pas, vous menez vos études vers un diplôme, vous devez écouter des cours, rédiger, passer des contrôles, résumer, commenter, et tout cela de manière souvent théorique non ?
> ...
- bref ce sont des études, et les études c'est souvent fastidieux et laborieux, non ? et malheureusement en partie loin des réalités, je crois. Sûrement intéressant mais loin d'être un rêve, non ?
> ...
L'étudiant a réfléchi et a quitté son mal être. Trouver les études pénibles est normal. Et lui est normal.
Il avait un problème (déçu, démotivé) et un objectif (plaisir des études)
On a donc deux directions
- soit résoudre le problème et retrouver le plaisir, c'est à dire retrouver la norme ("Faire les études de ses rêves est réjouissant")
C'est le changement de niveau 1
- soit changer l'objectif, c'est à dire changer la norme. "Les études c'est en bonne part ingrat". ( Changement de niveau 2, changer la norme )
Pour Palo Alto, aider le client à aller vers son objectif (plaisir des études) c'est le pousser vers quelque chose qui ne marche pas, malgré tous ses efforts (donc utopique). Et qui va maintenir ou amplifier le problème.
En modifiant la norme, la tension vers le but retombe. Ce qui était un problème l'est beaucoup moins. L'étudiant se faisait souffrir avec sa norme, qui lui créait même une double peine : pas de satisfaction dans les études et échec personnel à modifier la situation.
Une nouvelle norme ?
Le lecteur attentif devrait alors se dire : tiens, l'intervenant a imposé ses normes, il a convaincu le client de sa vraie vision des études ! Il impose sa norme !
On pourrait le penser, mais Palo Alto voit les choses autrement : le client s'est fabriqué une certaine vision des études de sociologie. S'il est bien avec cela, on n'en parle plus.
S'il en souffre, alors le problème, c'est ce qu'il fait pour résoudre son problème, à savoir son auto-injonction "Je devrais avoir beaucoup de plaisir dans ces études".
L'intervenant, en tant que tel, ne s'autorise aucun avis sur le plaisir dans les études de sociologie (Il est constructiviste, il n'a pas de vérité).
Il veut juste stopper ou freiner cette solution, cette tension qui alimente le problème : je devrais être dans la satisfaction.
Il la freine d'ailleurs de manière interrogative, comme une hypothèse, une possibilité à regarder, pour assouplir une vision du monde trop rigide.
L'ayant freinée, l'étudiant retrouve sa liberté de "réglage" de sa vision. Il décidera si les études doivent être très - ou pas - ou peu satisfaisantes.
Pourquoi dit-on systémique ?
- On ne s'intéresse pas à l'élément "situation", le plaisir des études
- On ne s'intéresse pas à l'élément "personne" (le problème dans la personne)
- On s'intéresse à ce qui se passe entre la personne et la situation, à l'interaction, aux messages (ici : "Je dois être ravi de mes études").
Pourquoi dit-on paradoxal ?
- Le client vient avec l'intention d'atteindre un objectif
- On ne s'intéresse pas spécialement à l'objectif, mais plutôt au problème : qu'est-ce qui empêche ?
- Ce qui empêche c'est la tension vers l'objectif.
- En freinant cette tension, le client retrouve une possibilité de se réguler.
- L'intervenant n'a (ne veut avoir) aucune idée sur le plaisir des études. Il veut juste freiner ce qui maintient le problème.
Le mouvement semble donc à l'inverse de ce que demandait le client. Ce qui ne se fait pas avec un électrochoc mais avec un accompagnement très progressif et qui finalement sera "logique" pour le client.
Les compétences requises sont donc : position basse, aller lentement, comprendre, compatir, ne pas s'attacher à l'objectif, ne pas "vouloir pour l'autre", et rigueur dans le raisonnement.
Oui c'est spécial, c'est contraire au bon sens...
Dominique DELAUNAY