La Lettre de  PALO ALTO

L'apport de la Systémique paradoxale

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Le manager démuni

 

Systémique paradoxale : le principe de base

 

L’école dite de PALO ALTO nous a apporté la Systémique paradoxale.

Parler de « systémique » n’est pas nécessairement clair car il est question aujourd’hui de multiples approches systémiques. Sont dites systémiques :

- la sociologie de Michel Crozier

- les thérapies familiales qui rassemblent « tout le système »

- les approches « orientées solution »

- etc., etc.

 

Ici nous nous référerons très précisément au courant de la « thérapie brève » initié par Paul WATZLAWICK, John WEAKLAND, et Dick FISCH en 1967 à Palo Alto (Californie), autrement dit la systémique paradoxale.

Nous n’exposerons pas cette approche ici. Nous en rappellerons simplement son principe de base, qui semble à première vue d’une simplicité déroutante :

La vie est faite de nombreuses difficultés.

Quand une difficulté persiste et devient « un problème », c’est qu’on utilise une solution pour la résoudre qui, en fait, maintient ou alimente le problème…

Cesser d’utiliser cette solution va mettre fin à l’alimentation du problème, et l’on pourra alors faire face raisonnablement à la difficulté

 

L’approche est dite « paradoxale » car elle suppose, pour se « décoincer », de faire radicalement le contraire de ce qui nous paraît logique et vital, cette solution « évidente » que nous utilisons encore et encore.

Si le principe paraît simple, la pratique, elle, demande une bonne formation et du doigté…

 

"Je suis nulle"

Soyons concret : voici le récit d’une problématique de management, présentée lors d’une séance de Codéveloppement professionnel pour des managers. Le fait d’animer ces séances avec une sensibilité « Palo Alto » va permettre d’aider tout le groupe à ne pas repartir aveuglément dans la voie « des solutions qui maintiennent le problème ».

 

Nicolas, 40 ans,  est manager dans une banque de financement et dirige des traders et chargés d’affaires. Ses collaborateurs sont dispersés dans le monde, par exemple à Chicago, Londres, Singapour, Hong Kong.

Il est préoccupé par le comportement de Sandrine, 30 ans, basée à Londres. Il a travaillé avec elle auparavant, sur Paris, et il l’apprécie. Tous deux ont une expérience partagée en « recherche quantitative ».Elle est rigoureuse et plutôt autonome, sauf dans des moments où elle semble paniquer et perdre confiance en elle. Et elle se plaint. De ne pas assez bien maîtriser l’anglais, de ne pas savoir faire des propositions vraiment solides aux clients, de comprendre moins vite que les autres.

Plusieurs fois par semaine elle appelle Nicolas, explique que, dans la réponse à appel d’offre qu’elle prépare, elle s’est « complètement plantée », demande une relecture complète de son travail, fait un drame quand elle découvre des erreurs.

« Je suis nulle » répète t’elle souvent. « Et je ne rapporte pas d’argent » (Elle rapporte sa part sans difficulté). Elle pense gagner moins de bonus que les autres, ce qui est inexact.

Un jeune collaborateur a été nommé sur Londres récemment à ses côtés ... Elle le trouve « brillant » et prend peur alors qu’il a tout à apprendre d’elle. Elle devrait aussi lancer de nouveaux produits mais ne se sent pas capable.

 

Nicolas l’apprécie et voudrait qu’elle s’épanouisse et construise son avenir, mais il est aussi excédé : elle lui prend beaucoup de temps, il faut relire ses propositions et ses textes, calmer ses peurs et ses découragements. Alors, souvent il la secoue : « Où vas-tu chercher que tu es nulle ? Ce n’est pas, mais pas du tout, ce que les gens pensent de toi, c’est du délire, tu dis n’importe quoi.  Des erreurs ? Oui, quelques unes dans les propositions, des détails, pas de quoi faire un drame ».

Ses exhortations ont-elles de l’effet ? Aucun…Nicolas a même l’impression que le phénomène s’accroît. Et sa propre colère aussi.

 

Le virage

Le groupe de Codéveloppement, qui est avec Nicolas, est tenté de suggérer les démarches classiques d’encouragement des collaborateurs : faire ressortir le positif, déléguer, valoriser… 

L’animateur invite alors les participants à regarder de plus près les messages adressés par Nicolas à Sandrine. Que disent-ils précisément ? Quels impacts ont-ils ? Peu à peu il apparaît que ces messages, qui semblent encourageants, contiennent aussi d’autres significations implicites telles que :

- ton jugement sur toi-même ne vaut rien,

- tes craintes n’ont pas de fondement,

- tes avis ne tiennent pas debout.

 

Mais alors que peut faire Nicolas ? Dire à Sandrine qu’elle a raison de se voir nulle ???

 

La séance se déroule donc.

Après un moment de réflexion en fin de consultation, Nicolas nous déclare : 

« Je comprends quelque chose de surprenant dans ce qui se passe. Je pense que je vais maintenant prendre au sérieux ce qu’elle dit, comme une base légitime de discussion. Et je l’inviterai à préciser : quelles erreurs, quelles faiblesses, à quel endroit, de quelle importance ?  Lui dire qu’elle a de bonnes raisons, certainement, d’avoir des appréhensions - puisqu’elle est compétente et que c’est elle qui est sur le terrain - et ces raisons on va les examiner tranquillement et très factuellement avec elle ».

« Mais je ne veux pas tout prendre en charge.  Quand elle me demandera de tout relire, je vais lui demander : relire quoi surtout ? Pourquoi a-t-elle une hésitation ? A quel endroit ? En quels termes ?

Je vais lui demander de se fabriquer aussi une liste d’auto-contrôle et de l’utiliser avant de m’appeler. Elle va faire sa part de chemin ».

« Je vois ça autrement. Merci ».

 

Au retour des vacances

 

On était en juin. Les vacances sont passées puis on s’est retrouvés en octobre.

Le groupe est de retour. Nicolas aussi. Alors ?

« Eh bien, nous déclare Nicolas, hmm… tout a changé. J’ai vraiment pratiqué comme évoqué. On a eu de bons échanges. Elle analysait bien. Elle a fait  la check list et elle l’utilise ! Elle m’appelle un peu mais bien moins souvent. Et c’est ciblé. Elle ne dit plus qu’elle est nulle. Elle a lancé un nouveau produit. Et elle supervise le nouveau. Tout ce changement semble s’être passé très naturellement… ».

 

La fin du cercle vicieux

 

Pour Palo Alto, autrement dit du point de vue de la systémique paradoxale, le changement majeur vient de l’arrêt des « tentatives de solutions ».

Le schéma de la solution tentée par le manager pouvait se ramener à un message qui pourrait se résumer en : « Tu as tort de dire que tu es nulle, tu as tort d’écouter ton jugement. Ton jugement est nul. »

La nouvelle direction prise par les actions du manager signifie à la place : « Il y a quelque chose de juste dans ton jugement, regardons ».

C’est donc la fin d’une longue série de propos involontairement dévalorisants de la part du manager, propos qui partaient d’une bonne intention bien sûr, mais qui provoquaient un cercle vicieux sans fin.

La fin du cercle vicieux peut enclencher une nouvelle dynamique.

 

 

Se servir de Palo Alto

 

Que l’on soit manager, animateur de Codéveloppement, formateur, coach, pilote de changement, la systémique paradoxale apporte des atouts intéressants :

- il n’y a pas de jargon, c’est le langage de tous les jours

- avant d’être une technique, c’est d’abord un regard, une vision qui permet de mieux repérer ce qui se passe très concrètement dans les interactions

- elle facilite le décodage des messages implicites et leurs effets ainsi que le repérage des cercles vicieux

- on ose challenger les demandes qui risquent de maintenir un problème

- on identifie plus nettement les nouvelles directions d’action qui permettront de débloquer un problème

En revanche, ces nouvelles directions sont souvent surprenantes, elles vont dans la direction contraire au premier bon sens, elles sont donc « paradoxales », et c’est cela qui demande d’acquérir une autre tournure d’esprit, une autre façon de regarder les comportements.

Et, lorsque l’on y parvient soi-même, on n’est pas au bout du chemin. 

En effet, comment s’y prendre pour que notre interlocuteur, à son tour, renonce lui-même à ses propres évidences ? Cela est une autre histoire.

 

Dominique DELAUNAY