La Lettre de  PALO ALTO

L'apport de la Systémique paradoxale

______________________________

Lettre de décembre 2017

 

Aider Martial

 

L'histoire qui suit révèle comment la sensibilité systémique apporte un éclairage fécond dans les situations humaines.

Il s'agit d'une séance de Codéveloppement managérial qui va connaître un mouvement inattendu.

 

Nicolas, le client, est cadre supérieur dans une grande entreprise de prestations techniques. C'est un homme d'expérience, pas loin de la retraite. Mêlant les compétences RH et informatiques, il se consacre les trois quarts du temps à une grande étude interne. Et il est également référent technique France pour les questions "Etudes RH".

Il est basé à Bordeaux mais vient souvent à Paris

 

Sa structure, bien sûr, n'est pas simple. Il est rattaché hiérarchiquement à une DRH à Paris (Hélène) et fonctionnellement au Directeur de l'établissement de Bordeaux.

Son bureau est à 15 mètres de celui de Martial, responsable RH pour l'établissement, rattaché aussi à Hélène et qui encadre toute une équipe RH : paye, Grh, conseiller carrière, préventeur, responsable QVT, etc.

Nicolas et Martial sont collègues.

 

Nicolas explique : "Martial a été nommé là il y a un an et demi. Il n'est pas bien accepté, son équipe lui reproche sa distance, ses erreurs, ses non-décisions, elle risque d'exploser. Ils viennent me trouver dans mon bureau. D'autant plus spontanément que j'ai occupé la fonction de Martial en intérim pendant 8 mois, avant son arrivée. Avec succès.

Et je sais qu'il y a eu quelques plaintes remontées à la DRH.

 

Il y a eu un peu d'accalmie, mais ça revient. Et je suis préoccupé parce que je vois que dans les reproches qui lui sont faits, il y a une grosse perte d'objectivité. Je sais très bien que certaines difficultés ne sont pas du tout de son fait, mais on lui met tout sur le dos. Il y a des rumeurs injustes. Mais c'est vrai aussi qu'il rate des rendez-vous et qu'il semble ne pas s'intéresser.

 

Je discute avec lui. Je sais qu'il n'a rien contre moi. En fait il n'a même pas l'air de vivre mal la situation.

 

J'ai indiqué à Hélène, à Paris, qu'il fallait faire quelque chose. Elle m'a répondu "Aidez-le"

Bien sûr j'aimerais pouvoir être utile dans cette situation, mais comment ? 

J'ai dit à Martial que j'étais à sa disposition s'il voulait échanger, mais il ne me sollicite pas.

Quand les membres de l'équipe viennent me voir, je les écoute puis les invite à parler avec lui. Ils me disent "Les réunions ne servent à rien".

 

J'ai appris, par indiscrétion, qu’ Hélène lui a octroyé un coaching. Je n'en vois pas les effets.

Je me rends compte que moi aussi je commence à devenir "négatif".

Mais je suis mal placé pour lui dire que son management ne va pas.

 

Au moment de la demande, en étape 3 du Codéveloppement, Nicolas indique "Que puis-je faire pour être utile à la situation, pour aider Martial, pour aider l'équipe ?"

Le groupe est prêt à accepter la demande, ce qui est logique. On est ici pour s'entraider. On est solidaire des collègues. Nicolas connaît bien le job, il l'a exercé avec succès.

L'animateur fait remarquer que le client hésite sur l'aide à fournir, qu'il a sans doute de bonnes raisons, et qu'on pourrait avoir une demande qui ne contraigne pas à aider.  

Après un échange, la demande est alors complétée par le client, qui ajoute "et même savoir si quelque chose est à faire de ma part"

 

Ce léger additif va ouvrir une voie inattendue. 

On sentait que le groupe allait mettre son énergie pour trouver de bonnes idées allant dans le sens de la solidarité (tous les membres du groupe de Codéveloppement appartiennent à cette même grande entreprise).

 

Dans l'étape 4, des suggestions vont venir proposer des aides possibles :

- déjeune avec Martial à certaines occasions et provoque des échanges

- propose à Hélène de faire une tripartite

- encourage l'équipe à s'exprimer directement et montre leur comment

- indique à Martial les points sur lesquels tu as le plus d'éléments

- etc.

 

Cependant l'additif a peu à peu ouvert la porte à une divergence :

- Hélène te demande d'aider. Cela n'aurait de sens que si cela avait été dit dans une réunion à 3. Tu ne peux pas accepter une invitation aussi floue et masquée pour Martial. Dis-le à Hélène.

 

- Il y a un N+1. Et il y a un coach. Donc Martial est aidé. Mais tu ne sais pas comment. Recevoir l'aide de 3 "spécialistes" qui ne sont pas coordonnés, ça peut rendre "patraque", c'est un risque "d'embrouille".

 

- Comme tu es à 15 mètres de l'équipe, ils viennent te voir. Chaque fois que tu les écoutes, tu crées une illusion : ils croient, puisque tu "entends", que tu vas finir par faire quelque chose. Tu crées peut-être une illusion, une dépendance et une passivité, non ?

 

- C'est étonnant que des responsables préventeurs ou Qvt viennent te voir. Ils sont assez grands, de par leur fonction, pour dire ce qu'ils ont à dire à leur chef.

La seule chose utile à leur dire serait donc "Ce n'est pas avec moi qu'il faut parler et donc je ne veux même pas vous entendre".

 

- Finalement le simple fait que ton bureau soit si proche ne crée-t-il pas cet espoir ? 

 

- Et Hélène, est-ce que la situation actuelle ne la met pas dans l'illusion que tu es en train d'aider ? Et donc la rendrait beaucoup moins active ?

 

- Etant dans l'illusion, est-ce qu'elle ne risque pas de te reprocher de ne pas avoir aidé ?

 

- Martial n'étant pas missionné pour se faire aider par toi, et étant "non demandeur" d'aide, si tu veux l'aider quand même, ne risques-tu pas d'aller vers des manipulations masquées ?

 

- Avec ce que tu nous dis, ça donne quand même l'impression d'une erreur de casting au départ dans ce poste...  Plus tu cherches à aider, plus tu risques de faire prolonger une situation pas viable et douloureuse ...

 

etc.

 

Après réflexion, le client va prendre position, en étape 5 :

 

"Moi j'ai choisi les RH car j'aime être utile aux hommes"

 

"Et en plus je n'aime pas voir les gens sous tensions"

 

"Je voudrais vraiment aider..."

 

"Mais là, je me rends compte que la meilleure façon d'aider, c'est de ne pas aider...".

 

"Je ne vais rien faire, et pour que ce soit sans ambiguïté, je ne vais même plus venir à ce bureau"

 

"Et je vais dire à Hélène que ma position et mon implication récente ne me permettent justement pas d'aider"

 

"Je me sens plus léger et plus clair"

 

Morale de l'histoire ?

Finalement on pourrait traduire la sensibilité systémique dans les termes suivants :

- le client ne parvient pas à aider alors qu'il le voudrait et qu'il a déjà tenté des actions : c'est le signe qu'un cercle vicieux est en fonctionnement

 

- alors ce qu'il fait maintient le problème (voire l'aggrave)

 

- il a tenté un changement de niveau 1, qui ne marche pas

 

- que serait un changement de niveau 2 ? Prendre le contre-pied !

 

(Merci M. Payette pour l'importance des divergences)

 

- le client hésite à faire plus : il a raison, (il a raison d'avoir le problème), il a de bonnes raisons, aidons-le à les trouver

 

- en fait le client a formulé les bonnes raisons de ne pas aider, mais sans se rendre compte qu'il les formulait

 

- et on trouve alors, en voyant les « effets du système », les "bonnes raisons" de ne pas faire plus. Elles ont été citées par le client lui-même, c'est pourquoi il les trouve parfaitement naturelles et convaincantes.

 

Important : l'animateur doté d'une sensibilité systémique aide le groupe à repérer les effets du système et les "nœuds systémiques", 

 

Et en même temps, en Codéveloppement, il peut le faire en simplicité, sans aucun jargon ni enseignement (pas besoin de parler de "sauveur" par exemple et encore moins de "triangle dramatique")

 

On ne dit pas au client qu'il a tort d'aider. Mais qu'il peut "mieux aider". Ses valeurs sont respectées.

Et le mouvement de divergence passe d'autant plus naturellement que le Codéveloppement est par définition "systémique"

 

Au cours de cette séance, les participants, qui eux-mêmes voulaient vraiment aider leur collègue "client", ont dit avoir senti, avec étonnement, leur regard qui changeait, qui évoluait, à mesure que l'on avançait. 

Ce fut un apprentissage pour nous tous.

Dominique Delaunay

 

 

 © Alternatives Consulting  Aout 2024 - www.systemique-palo-alto.fr